26 de agosto de 2015

Guillaume Apollinaire

El músico de Saint-Merry

Tengo por fin derecho a saludar a seres que no conozco.
Pasan ante mí y se amontonan a lo lejos
mientras todo lo que en ellos veo me es desconocido
y su esperanza no es menos fuerte que la mía.

No canto a este mundo ni a los demás astros;
canto a todas las posibilidades de mí mismo fuera de este mundo y de los astros,
canto a la alegría de errar y al placer de morir.

El 21 de mayo de 1913,
barquero de los muertos y las marías mordonantes,
millones de moscas aventaban un esplendor,
cuando un hombre sin ojos, sin nariz y sin orejas
dejando el Sebastopol entró en la calle Aubry-le-Boucheur.
Joven, el hombre era moreno, y ese color de fresa en las mejillas.
Hombre. ¡Ah, Ariene!
Tocaba la flauta y la música dirigía sus pasos.
Se detuvo en la esquina de la calle Saint-Martin
tocando la tonada que yo canto y que yo inventé.

Las mujeres al pasar se detenían junto a él,
venían de todas partes,
cuando de súbito las campanas de Saint-Merry rompieron a sonar.
El músico dejó de tocar y bebió de la fuente
que se encuentra en la esquina de la calle Simon-Le-Franc.
Luego Saint-Merry calló.
El desconocido reanudó su tonada en la flauta
y volviendo sobre sus pasos fue hasta la calle de la Verrerie
en la que entró seguido por la multitud de mujeres
que salían de las casas,
que venían por las calles adyacentes, idos los ojos,
las manos tendidas hacia el melodioso raptor.
Él se iba indiferente, tocando su tonada;
se iba terriblemente.

Luego, en otro sitio,
¿a qué hora sale el tren de París?

En ese momento
las palomas de las Molucas excretaban nueces moscadas.
Al mismo tiempo,
misión católica de Bôma, ¿qué has hecho con el escultor?

En otro lugar
ella cruza el puente que enlaza Bonn con Beuel y desaparece por Pützchen.

En el mismo instante
una muchacha enamorada del alcalde.

En otro barrio…
Rivaliza pues, poeta, con las etiquetas de los perfumistas.

En resumen, oh reidores, no habéis sacado gran cosa de los hombres
y apenas habéis obtenido un poco de manteca de su miseria.
Pero nosotros, que morimos de vivir lejos uno del otro,
extendemos nuestros brazos y sobre estos raíles rueda un largo tren de mercancías.

Tú llorabas sentada junto mí en el fondo de un taxi.

Y ahora
te pareces a mí, te pareces a mí desgraciadamente.

Nosotros nos parecemos, como en la arquitectura del siglo pasado
esas altas chimeneas semejantes a torres.
Ahora vamos más arriba y ya no tocamos el suelo.

Y mientras, el mundo vivía y variaba.

La comitiva de mujeres, larga como un día sin pan,
seguía por la calle de la Verrerie al músico feliz.

¡Comitivas, oh, comitivas!
Como cuando antaño el rey marchaba a Vincennes,
cuando los embajadores llegaban a París,
cuando el flaco Suger se apresuraba hacia el Sena,
cuando el motín se apagaba en torno a Saint-Merry.

¡Comitivas, oh, comitivas!
Las mujeres desbordaban, tan grande era su número,
por todas las calles colindantes
y se apresuraban, tensas como balas,
para poder seguir al músico.
¡Ah, Ariane! y tú Pâquette y tú Amina
y tú Mia y tú Simone y tú Mavise
y tú Colette y tú la bella Geneviève.
Pasaron temblorosas y ausentes
y sus pasos ligeros y prestos se movían según la cadencia
de la música pastoril que guiaba
sus ávidos oídos.

El desconocido se detuvo un momento ante una casa en venta.
Casa abandonada,
con los cristales rotos;
es una vivienda del siglo dieciséis,
el patio sirve de cochera para vehículos de reparto.
Allí entró el músico.
Su música, alejándose, se volvió lánguida.
Las mujeres lo siguieron a la casa abandonada
y allí entraron todas confundidas en tropel.
Todas, todas entraron sin mirar atrás,
sin añorar lo que dejaban,
lo que abandonaban;
sin añorar el día, la vida y la memoria.
Pronto no quedó ya nadie en la calle de la Verrerie
salvo yo mismo y un sacerdote de Saint-Merry.
Entramos en la vieja casa
pero allí no encontramos a nadie.

Cae la tarde,
en Saint-Merry es el Ángelus lo que suena.
¡Comitivas, oh, comitivas!
Como cuando antaño el rey regresaba de Vincennes.
Llegó un grupo de sombrereros,
llegaron los vendedores de plátanos,
llegaron soldados de la Guardia Republicana.
¡Oh, noche!
Bandada de lánguidas miradas de mujeres.
¡Oh, noche!
Tú, mi dolor y mi vana espera.
Oigo morir el eco de una flauta lejana.



Guillaume Apollinaire. Le musicien de Saint-Merry (poetica.fr)
Le Musicien de Saint-Merry [article]
Parcours du « Musicien de Saint-Merry » (Apollinaire) comme initiation à la lecture de l’Hymne homérique à Hermès
Trad. E. Gutiérrez Miranda 2015


                    ∼

Le musicien de Saint-Merry

J’ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas
Ils passent devant moi et s’accumulent au loin
Tandis que tout ce que j’en vois m’est inconnu
Et leur espoir n’est pas moins fort que le mien

Je ne chante pas ce monde ni les autres astres
Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de ce monde et des astres
Je chante le joie d’errer et le plaisir d’en mourir

Le 21 du mois de mai 1913
Passeur des morts et les mordonnantes mériennes
Des millions de mouches éventaient une splendeur
Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles
Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher
Jeune l’homme était brun et de couleur de fraise sur les joues
Homme Ah! Ariane
Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas
Il s’arrêta au coin de la rue Saint-Martin
Jouant l’air que je chante et que j’ai inventé
Les femmes qui passaient s’arrêtaient près de lui
Il en venait de toutes parts
Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent à sonner
Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine
Qui se trouve au coin de la rue Simon-Le-Franc
Puis saint-Merry se tut
L’inconnu reprit son air de flûte
Et revenant sur ses pas marcha jusqu’à la rue de la Verrerie
Où il entra suivi par la troupe des femmes
Qui sortaient des maisons
Qui venaient par les rues traversières les yeux fous
Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur
Il s’en allait indifférent jouant son air
Il s’en allait terriblement

Puis ailleurs
À quelle heure un train partira-t-il pour Paris

À ce moment
Les pigeons des Moluques fientaient des noix muscades
En même temps
Mission catholique de Bôma qu’as-tu fait du sculpteur

Ailleurs
Elle traverse un pont qui relie Bonn à Beuel et disparait à travers Pützchen
Au même instant
Une jeune fille amoureuse du maire
Dans un autre quartier
Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs

En somme ô rieurs vous n’avez pas tiré grand-chose des hommes
Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur misère
Mais nous qui mourons de vivre loin l’un de l’autre
Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de marchandises

Tu pleurais assise près de moi au fond d’un fiacre

Et maintenant
Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement
Nous nous ressemblons comme dans l’architecture du siècle dernier
Ces hautes cheminées pareilles à des tours
Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus le sol

Et tandis que le monde vivait et variait

Le cortège des femmes long comme un jour sans pain
Suivait dans la rue de la Verrerie l’heureux musicien

Cortèges ô cortèges
C’est quand jadis le roi s’en allait à Vincennes
Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris
Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine
Quand l’émeute mourait autour de Saint-Merry

Cortèges ô cortèges
Les femmes débordaient tant leur nombres était grand
Dans toutes les rues avoisinantes
Et se hâtaient raides comme balle
Afin de suivre le musicien
Ah! Ariane et toi Pâquette et toi Amine
Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise
Et toi Colette et toi la belle Geneviève
Elles ont passé tremblantes et vaines
Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la cadence
De la musique pastorale qui guidait
Leurs oreilles avides

L’inconnu s’arrêta un moment devant une maison à vendre
Maison abandonnée
Aux vitres brisées
C’est un logis du seizième siècle
La cour sert de remise à des voitures de livraisons
C’est là qu’entra le musicien
Sa musique qui s’éloignait devint langoureuse
Les femmes le suivirent dans la maison abandonnée
Et toutes y entrèrent confondues en bande
Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles
Sans regretter ce qu’elles ont laissé
Ce qu’elles ont abandonné
Sans regretter le jour la vie et la mémoire
Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la Verrerie
Sinon moi-même et un prêtre de saint-Merry
Nous entrâmes dans la vieille maison
Mais nous n’y trouvâmes personne

Voici le soir
À Saint-Merry c’est l’Angélus qui sonne
Cortèges ô cortèges
C’est quand jadis le roi revenait de Vincennes
Il vint une troupe de casquettiers
Il vint des marchands de bananes
Il vint des soldats de la garde républicaine
O nuit
Troupeau de regards langoureux des femmes
O nuit
Toi ma douleur et mon attente vaine
J’entends mourir le son d’une flûte lointaine



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